On colle !
On colle !
Depuis 5 mois, on colle.
On colle des affiches avec leurs noms et leurs visages.
Au départ, on collait des affiches de bébés, de vieillards, de petites filles, de jeunes femmes et hommes.
Mais très vite, on a collé notre bb Kfir, notre petite Camilla, Mamie Ditsa et Pépé Oded.
On traite les affiches avec beaucoup de respect. Ces feuilles de papier, ce sont nos précieux. On les aime, on les respecte, on les transporte avec soin et lorsqu’on les colle c’est comme une étreinte qu'on leur donne.
On colle leurs visages pour crier au monde qu’ils existent, qu’ils sont otages de terroristes et qu’ils doivent être libérés maintenant !
On a besoin d'agir, de se sentir utile.
On a besoin de les aider…
Est ce qu’afficher leurs portraits sur le périphérique parisien les aide vraiment ?
On n’en est pas toujours certains mais on colle.
Certains soirs, on passe du temps à trier nos affiches… tri tantôt macabre, tantôt jovial, dans une ambiance amicale, bruyante et rythmée : il a été libéré (une bouffée d’air) ; lui a été annoncé mort hier ; elle n’a finalement jamais été otage, elle est morte le 7 Octobre et on vient d'identifier son corps...
On a du mal à jeter nos affiches, à se séparer de ces visages qu’on connaît si bien, et qu’on aime tant. Alors on ajoute au feutre « tué par le Hamas ».
On est en apnée, on étouffe.
Les négociations sont en cours et on espère des libérations rapides. On prie pour leur retour, vivants, en bonne santé.
On aimerait tellement devoir annuler ce prochain collage.
Mais les opérations s’enchaînent et se ressemblent. La fatigue s'installe et on se demande parfois à quoi bon y consacrer tant de temps, y dépenser tant d’énergie ?
On continue.
On se l'est dit dès la première semaine, comme une promesse, un serment : « jusqu’à la libération du dernier otage ».
On colle encore et on devient des experts. Des experts en colle, en pinceaux, en btp et en street marketing : ce mur absorbera trop de colle ; celui-ci n’est pas assez visible ; sur celui-là, elles seront arrachées trop rapidement ; spot trop dangereux ; il n’y a pas où stationner, pas de rambardes.
Dès le lendemain, tous au rapport !
"Sur ce mur tout a été arraché ; celui-ci a tenu plus de 5 jours, mieux que la dernière fois."
On colle pour eux, on colle pour nous.
Beaucoup pour eux, beaucoup pour nous. On a besoin de se retrouver, de partager nos doutes, nos tristesses, nos craintes, notre dégoût, nos angoisses.
Seuls mais ensemble ? Peut être... En tout cas, on colle ensemble parce qu’on se sent très souvent seuls.
Un relai de emouna (foi), d’espoir et de joie se met en place.
Chaque semaine apporte son lot de mauvaises nouvelles et de frustrations mais le relai continue. Il y a toujours un colleur pour raviver la flamme, pour rattraper l’Autre qui sombre, touché par les horreurs de l'actualité.
On colle et on devient une famille. Une famille improbable, de personnes de tous âges et de tous horizons. Ce n'est pas la famille de sang, ce n'est pas non plus la famille qu’on choisit, comme de bons amis.
C’est la famille unie par la même envie : que les otages rentrent vite à la maison.
Une famille de colleurs, une famille d’alcoolleurs. Avant d'affronter le froid et la nuit, on a besoin de réchauffer les corps et les cœurs.
"On colle la nuit pour que les otages voient le jour", c’est ce qu’un groupe a écrit.
Nous, on colle en famille pour qu’ils retrouvent la leurs.
À ma famille de cœur, mon gang des colleurs,